Une épidémie : un cas de force majeure ? Quels effets sur les contrats ?

Droit de l'entreprise

Maître Benoît Lecarte, avocat au barreau de Liège

 

La survenance d’un cas de force majeure peut avoir pour conséquence de rendre impossible (temporairement ou définitivement) l’exécution d’un contrat.

Ce défaut d’exécution engage-t-il la responsabilité de celui qui est en défaut d’honorer ses engagements ? Quel sera le sort du contrat ? Le créancier (le client) peut-il prétendre à un remboursement ? La présente note a pour objet d’apporter une ébauche de réponses à ces questions.

 

  1. La force majeure, le cas fortuit et la cause étrangère libératoire

Retenons ici, pour la simplicité de l’exposé, que la force majeure, le cas fortuit, le fait du prince et la cause étrangère libératoire sont des synonymes : un événement indépendant de la volonté humaine, que l’homme n’a pu ni prévoir ni prévenir. Il s’agit donc d’un événement qui était imprévisible au moment de la conclusion du contrat, et qui a pour conséquence que ce contrat ne pourra plus être exécuté, du moins aux mêmes conditions. Le caractère imprévisible et irrésistible suppose par ailleurs que l’impossibilité d’exécution ne soit pas la conséquence d’une faute du débiteur de l’obligation.

Le principe est le suivant : si un événement constitutif de cas de force majeure survient et qu’il rend impossible l’exécution du contrat, sans que le débiteur de l’obligation soit en faute (par exemple parce qu’il est déjà en retard d’exécution de ses obligations), alors le débiteur pourra être libéré de ses engagements, sans être tenu d’indemniser son cocontractant.

Lorsque le contrat est synallagmatique (c’est-à-dire bilatéral : chaque partie a des obligations à l’égard de l’autre), alors les deux parties sont en principe libérées de leurs obligations respectives. Par exemple, le client qui a commandé un voyage, annulé en raison de circonstances constitutives d’un cas fortuit, ne devra pas payer sa réservation, et l’organisateur du voyage ne devra pas fournir les prestations prévues.

L’organisateur du voyage devrait par ailleurs rembourser les acomptes éventuellement versés.

Voilà pour les principes… 

 

  1. Le contrat

Puisqu’il est question d’un contrat, des clauses peuvent prévoir l’hypothèse du cas de force majeure, en imposant le paiement d’une partie du prix par exemple. Ces clauses sont en principe valables, la matière n’étant ni d’ordre public, ni impérative.

Autrement dit, le contrat pourrait prévoir que le client reste tenu au paiement du prix ou d’une partie de celui-ci, même si la prestation commandée ne peut plus être assurée. Le voyage réservé dans un pays auquel l’accès est à présent interdit, la livraison d’un produit qui ne peut plus être fabriqué en raison d’une pénurie de matières premières, le concert ou le salon annulé, les commandes de produits frais à destination d’un établissement horeca… voilà quelques exemples de relations contractuelles qui peuvent être directement impactées par un cas fortuit. Il est probable que la manière dont le contrat règlera les obligations réciproques ne sera pas toujours favorable au client/consommateur…

La rigueur du contrat peut cependant être tempérée par d’autres principes : l’exécution de bonne foi des obligations, l’abus de droit, la théorie de l’imprévision… Chaque situation mérite un examen approfondi, et il est conseillé de ne pas s’arrêter aux termes stricts du contrat ou à un refus pur et simple de remboursement.

Par ailleurs, ce qui vaut en droit belge n’est pas nécessairement applicable à un contrat conclu avec un prestataire étranger.

 

  1. L’épidémie de COVID-19

La survenance d’une épidémie telle que celle qui frappe actuellement toutes les régions du globe peut sans nul doute être considérée comme imprévisible et irrésistible. Il s’agira donc en principe d’un cas fortuit. Dans tous les cas ? Plus précisément, ce cas de force majeure peut-il être systématiquement opposé au créancier d’une obligation ?

La réponse pourrait être nuancée. 

Les conséquences de l’épidémie n’ont pas été connues le jour même où elle a été annoncée. Elles ne le sont d’ailleurs pas encore au jour de la rédaction de la présente note…

Les interdictions de rassemblement, les annulations d’événements, les restrictions et autres mesures de confinement ont été ordonnées en fonction de l’évolution de la situation.

Les parties qui ont conclu un contrat avant les premières alertes ignoraient totalement qu’un événement à ce point bouleversant pourrait survenir.

Par contre, si des engagements ont été souscrits en connaissance de cause (du moins dans une certaine mesure), alors il n’est pas certain que le débiteur de telle obligation pourrait invoquer valablement le cas fortuit pour se dégager de ses obligations.

Tout est à nouveau question de cas d’espèce…

 

  1. Premiers conseils

La gestion de la crise sanitaire et la préservation de la santé de tous sont prioritaires. Inutile d’envisager mener dès à présent un procès pour récupérer un acompte, par exemple. Il n’est pas même certain que les services administratifs du fournisseur seraient en mesure de traiter une demande d’information ou de remboursement.

Il convient à ce stade de conserver soigneusement tous les documents contractuels et les données factuelles. A quelle date le contrat a-t-il été signé ? Quand l’annulation éventuelle du voyage a-t-elle été envisagée ? Quand a-t-elle été ordonnée ? Quelle a été la communication du cocontractant ?

Une lecture attentive du contrat est également indispensable. Parfois, plusieurs clauses pourraient être invoquées, de manière à atténuer les effets du cas fortuit. Par exemple, le contrat peut prévoir une faculté de résiliation unilatérale, contre le versement d’une indemnité inférieure au prix de la prestation, pour autant qu’elle soit exercée endéans un certain délai. Il peut être prudent d’invoquer le cas échéant cette clause à titre conservatoire.

 

Les effets concrets de la crise sanitaire qui nous frappe tous de plein fouet sont encore difficiles à mesurer, mais il est certain qu’elle impactera de manière conséquente tous les secteurs de l’économie. Le droit offre des outils qui pourraient atténuer les conséquences de cette situation exceptionnelle, et l’assistance d’un conseiller juridique sera d’un précieux secours à toutes les parties à un contrat. Les avocats du Barreau de LIEGE se tiennent d’ores et déjà à votre disposition pour analyser les conventions dont l’exécution est compromise par la crise et pour vous conseiller sur les initiatives, précautions ou démarches qu’il importerait de mener, aujourd’hui ou demain.